L'INTERVIEW

 
L'INTERVIEW   



 

L`interview donnée par le Premier ministre, Monsieur Adrian Năstase, au quotidien „ Le Figaro” - Palais Victoria, le 4 mai 2001



Reporter: Comment expliquez-vous que parmi les pays candidats à l`élargissement européen la Roumanie a le rythme de négociations le plus lent? En mars 2000 la Roumanie a ouvert les négociations sur 5 des 31 chapitres concernant l`intégration européenne et les discussions étant annulées, en octobre 2000 des négociations ont été entamées sur deux autres chapitres, ce qui fait que, actuellement, la Roumanie a abouti à 7 chapitres, dont 6 ont été bouclés, alors que la Bulgarie en a déjà bouclé neuf.

Premier ministre : J`ai de nouveau le sentiment d`une compétition qui existait à un moment donné en Europe centrale au moment du groupe de Vichégrad : chacun voulait être le premier parmi les autres, comme les écoliers. A mon avis, notre problème c`est, premièrement, de résoudre nos problèmes chez nous : les problèmes économiques, politiques et sociaux. En principe, d`ici jusqu`en 2005 on aura pas mal de négociations. Et dans notre stratégie, acceptée par tous les partis politiques on a l`intention d`ouvrir tous les chapitres de négociation d`ici jusqu`à la fin de 2002.

Donc c`est un processus accéléré de négociations, mais on est conscient qu l`on a des problèmes ; on n`est pas nerveux à cause des Bulgares, ni des Turcs, ni des Estoniens. On essaie tout simplement de résoudre nos problèmes et de trouver les meilleures solutions.

Reporter. Selon l`Eurobaromètre, réalisé fin 2000, le pays candidat à l`Union européenne qui réunit le plus de suffrages c`est la Hongrie : 46% des suffrages et celui qui en réunit le moins c`est la Roumanie, avec 33%. Qu`est-ce que ça vous inspire ?

Premier ministre : L`Eurobaromètre ce n`est pas un thermomètre pour prendre la température exacte, la situation exacte des candidats. C`est une modalité qui peut donner une image sur la perception de la réalité dans ce contexte, tout comme l`efficacité du lobbying international. Or, là, il faut accepter que les Hongrois sont meilleurs que nous.

Reporter : Est-ce qu`il n`y a pas d`autres raisons économiques, politiques, par exemple ?

Premier ministre : Mais si, bien sûr. Il y a aussi une réalité économique, une réalité sociale, le fait que ces quatre dernières années on a perdu certaines des chances qui avaient existé.

On a publié récemment un livre blanc sur l`activité du gouvernement antérieur. Là on peut voir que, malheureusement, la Roumanie était plus proche de l`Union européenne en 1996 que la Bulgarie. On a donc perdu, malheureusement, une période essentielle ces quatre dernières années, sans mettre à profit l`avance que nous avions.

Reporter : Mais les années précédentes ont déjà été plus favorables pour la Roumanie.

Premier ministre : Mais non, parce que, par exemple, on peut y voir les données concernant le niveau de vie, par rapport à d`autres pays. Voilà donc le Produit Interne Brut par habitant, déterminé par rapport au pouvoir d`achat. En 1996, il était de 6.600 mille dollars, en 2000 il y avait déjà une perte de 10%, donc 5.900. Par rapport à d`autres pays, le PIB, en 1996, par rapport à la Pologne, par exemple, il était de 95% et, par rapport à la Hongrie, il était, malheureusement, de 71%. En 2000, par rapport à la Hongrie, il était de 54%.On peut donc voir, quand-même, que la situation en `96 n`était pas très mauvaise en comparaison avec les autres pays de l`Europe centrale. Mais, évidemment, ce n`est pas de faire des analyses sur le passé, mais de concevoir une stratégie sur l`avenir.

Reporter : Oui, mais il y a quand-même deux observations. La première c`est que la relance a commencé en 2000, ce fut de 1,6% ; la seconde c`est qu`en 1996 il n`y a pas eu de livre blanc sur la période antérieure, sur les dettes extérieures qui ont grevé beaucoup sur les performances du gouvernement ayant pris le pouvoir cette année-là. Ce livre-ci offre donc des explications, mais qui restent incomplètes. Il y a quand-même une réforme, qui est toujours en retard, qui reste à faire.

Premier ministre : A mon avis c`est un ouvrage très intéressant, il a pas mal de données. On peut voir, au sujet du PNB, que les trois premières années après 1996 il a connu une baisse, pour augmenter en 2000 de 1,6%. Je crois que c`est important aussi d`avoir une photographie sur la situation du pays en l`an 2000. Et pour revenir à la question que vous m`avez posée, le résultat rendu public par l`Eurobaromètre, je pense que, en ce qui nous concerne, nous, on doit travailler, autant sur la réalité que sur la perception de cette réalité par l`étranger.

Nous ne savons pas très bien comment envoyer le message. La Roumanie reste, malheureusement un pays connu comme le pays des mineurs, le pays des chiens abattus, des violences extrêmes et non pas comme le seul pays latin de cette région, pays cultivé, jouissant d`une civilisation assez longue. Donc, force este d`améliorer la manière de promouvoir notre propre image. Malheureusement on n`a pas réussi à le faire ces dernières années, mais non plus auparavant. Ici la Hongrie, pour des raisons un peu spéciales, a su faire une meilleure promotion, même durant la période communiste.

Reporter : On parlait tout à l`heure que, malgré sa relance, la Roumanie reste dans le dernier peloton des pays candidats à l`intégration européenne. Comment comptez-vous rattraper ce retard ?

Premier ministre : Il faut se concentrer le plus possible sur les investissements, c`est l`idée maîtresse de notre stratégie actuellement. Hier, par exemple, nous avons adopté dans le cadre du gouvernement, le mandat pour la signature du contrat en vue de la finalisation des travaux de la deuxième unité de la centrale nucléaire de Cernavoda. C`est un investissement qui se déroulera sur quatre ans, ayant une valeur d`environ 800 millions de dollars.

Reporter : Donc le Canada dépassera en investissements la France ?

Premier ministre : Par cet investissement, oui. Il est important parce que l`on a commencé à avoir des commandes pour des produits internes sur le système du réseau économique horizontal d`environ 1.000 milliards de lei à l`heure actuelle. Il y a donc des dizaines de sociétés commerciales qui travaillent maintenant pour la centrale nucléaire. L`investissement canadien, qui sera remboursé finalement par le Gouvernement roumain, représente environ la sixième partie du financement, c`est donc la Roumanie qui paie la plupart de cet argent, à cet investissement étant destinée une partie essentielle du budget de cette année. C`est un investissement extrêmement important parce que, dans quatre ans, on aura une grande capacité supplémentaire d`énergie électrique très bon marché et, d`autre part, il y a déjà pas mal d`argent investi dans le domaine des emplois et des produits qui sont utilisés pour la finalisation des travaux à cette centrale. Ce n`est qu`un exemple, mais il a pas mal d`exemples de ce genre et nous considérons que, par une meilleure organisation de note travail on aboutira cette année à avoir une croissance de 4 à 5%.

Reporter : Mis à part celui-ci, le volume des investissements étrangers en Roumanie s`avère le plus bas de l`Europe de l`est : 243 $ par tête d`habitant, contre 1967 en Hongrie et 527 en Pologne. Selon le Conseil des Investisseurs étrangers en Roumanie, qui a publié l`année dernière un livre blanc sur ce sujet, cela s`explique notamment par l`insuffisance des garanties offertes par la législation roumaine. Donc, qu`est-ce que voue avez envisagé dans ce domaine ?

Premier ministre : En effet, malheureusement, les investissements en Roumanie n`ont pas réussi à dépasser un niveau qui est considéré par nous tous très bas. Je ne pourrai pas me concentrer sur des données statistiques, mais il est évident que l`on n`a pas réussi à avoir, sur une période de presque 11 ans, trop d`investissements. Ce livre blanc présente la situation exacte des investissements sur chaque année. Le problème c`est que les investisseurs ont buté contre deux difficultés : l`instabilité fiscale et l`instabilité législative. On est maintenant en train de discuter avec le Conseil des investisseurs et, en plus de cela, nous avons consulté une documentation internationale et l`on a déjà discuté en première lecture, dans le cadre du gouvernement, le code des investissements directs : c`est une loi qui va garantir les facilités établies conjointement avec les investisseurs étrangers. Je peux vous donner ce projet de loi.

Reporter : Et quand estimez-vous pouvoir faire adopter cette loi ?

Premier ministre : Avant le mois de septembre. Nous envisageons également, très sérieusement, de mettre en ?uvre une meilleure réforme fiscale sur les impôts et sur les taxes. Nous estimons qu`à la suite de l`adoption de ces mesures le volume des investissements étrangers augmentera d`une manière significative.

Reporter : Et la réforme fiscale, vous y travaillez déjà ?

Premier ministre : Oui, on aura le texte du projet de loi dans deux ou trois semaines.

Reporter : Cette loi concernera aussi la TVA ?

Premier ministre : Oui, l`année prochaine on aura des niveaux différenciés de la TVA pour certains produits et l`on essaie déjà de simplifier la fiscalité. Ceci est important pour encourager les investissements et le ré investissements.

Reporter : Tout à l`heure vous parliez de croissance, effectivement vous misez sur une croissance de 4,5 et sur une inflation au-dessous de 27%. Selon les prévisions de la Banque Nationale de Roumanie et de la Commission nationale de statistique, la croissance pourrait être de 1,9%, tandis que l`inflation pour les trois premiers mois de l`année s`avère déjà supérieure à vos prévisions. Est-ce que vous n` êtes pas trop optimiste ?

Premier ministre : Non, en fait, vous faites référence à des données publiées par l`Union européenne. Mais j`ai donné à M. Verheugen un texte qui contredit ce pronostique. En fait, chacun peut dire que l`économie va connaître la relance, qu`elle va s`accroître de 10 ou de 20 %. Mais le problème avec le texte remis à la presse c`est que les données de 1999 et de 2000 n`étaient pas correctes. La prévision a été faite sur la base de chiffres incorrectes. Celui qui, à l`Union européenne a fait ce travail, peut-être était-il de bonne foi?

Reporter : Mais dans les rapports présentés par l`Ambassade de France on reprend pratiquement les données rendues publiques par la Banque Nationale Roumaine et l`Institut National de Statistique.

Premier ministre : Les chiffres établis par le Ministère du Développement présentent une prognose qui a été vérifiée, en fait, par les experts de l`Union européenne et ceux du FMI. Ce fut donc sur la base de ces chiffres-là que ces experts se sont mis d`accord que la Roumanie connaîtra cette année un développement de 4,1%. Dans des conditions favorables à l`agriculture, on pourra s`attendre même à 5%.

Reporter : Depuis 1998 le volume des exportations a augmenté régulièrement tandis que celui des importations a baissé en 1999 et il continue de baisser, ce qui n`est pas habituel. Qu`est-ce que vous envisagez pour réduire ce déficit de la balance commerciale ?

Premier ministre : Il y a une volonté claire de soutenir les exportations. Quant aux importations, nous nous orientons vers l`introduction des nouvelles technologies. Cette année, par exemple, la structure des importations a changé, dans le sens que l`on a accordé des facilités, notamment l`exonération de taxes douanières, à ceux qui importent pour les PME des technologies et de la matière première qui n`existent pas en Roumanie. Sur les deux premiers mois on a eu une croissance de la production industrielle de 17% par rapport à l`année dernière grâce surtout aux PME. Il y a déjà un développement industriel fondé surtout sur cette politique visant les PME.

Reporter : Les institutions financières internationales ont critiqué la faiblesse du système bancaire roumain et ont souligné la faible participation étrangère, en regard des 55 à 65% existant en Hongrie, en Pologne et en République Tchèque. Elles ont dénoncé aussi la connivence du système bancaire roumain les mafias financières liées aux grandes entreprises publiques et aux réseaux de blanchiment d`argent. Y avez-vous un point de vue ?

Premier ministre : Un système bancaire est très difficile à réorganiser ou à créer, en fait, dans une économie de marché, après le système des banques d`Etat qui avaient fonctionné plusieurs décennies. Le fait que « la Société Générale » ait été considérée, l`année dernière, la meilleure banque étrangère chez nous, ça démontre quand même que les banques françaises, tout comme les autres banques qui existent chez nous se trouvent dans une situation assez bonne. Il est important de constater que le système des banques privées en Roumanie représente déjà environ 60% du système bancaire. On a eu des problèmes ces dernières années, mais, récemment, on a réussi assainir le système, par privatisation. On a privatisé la Banque Agricole cette année : deux mois nous avons négocié avec le Fonds Roumano-Américain et surtout avec la banque autrichienne Reiffeissen la privatisation de cette banque. On essaie donc de réorganiser le système bancaire. Je dois dire que ces quatre dernières années ont été assez positives: le passif externe a baissé de 66% et l`amélioration de la structure des crédits bancaires a mené à une croissance de 13% pour les crédits standard, tout ceci démontrant les résultats très positifs dans ce domaine.

Reporter : Mais sur cette accusation de corruption ?

Premier ministre : Je pense que la privatisation de la plupart des banques, avec l`avis des institutions financières internationales, prouve que les choses sont dans une bonne voie. Les accusations ont été liées à la banque « Bancorex ». Mais, là aussi la situation est plus complexe, parce que c`était une période de transfert du pouvoir, en `96 et, comme en France maintenant, l`on a eu, à mon avis, à part la corruption, un certain intérêt politique, créé autour de cette banque ; on a utilisé ce sujet dans des buts politiques, ce fut évident.

Reporter : Vous avez conclu un pacte social avec les principales centrales syndicales et organisations patronales, vous vous êtes engagés notamment en matière des salaires, du salaire minimum, à indexer les retraites et à réduire le taux de chômage. Tout cela, en promettant en même temps de maintenir le déficit budgétaire au-dessous de 4%. Comment allez-vous concilier ces objectifs très divers ?

Premier ministre : La bonne stratégie cartésienne. On essaie de voir ce que l`on peut faire du point de vue économique, du point de vue social. Quant à l`accord social ce fut pour la première fois que l`on a eu un consensus pratique de l`équipe du gouvernement, des syndicats et du patronat. L`idée en était simple : on augmentera le salaire seulement dans le cadre de la compensation de l`inflation. On essaie de dire aux gens, et je crois que c`est très important après dix ans de sacrifices, que le pouvoir d`achat ne va pas baisser. Le pouvoir d`achat des Roumains, maintenant, par comparaison à 1989, représente 54%. Ce chiffre était de 73% en 1996. Maintenant, après une baisse de presque 20%, ces quatre dernières années, il représente ce qu`il représente.

Reporter : Mais pour le pouvoir d`achat ce ne sont que des chiffres officiels. Vous n`avez pas de résultats du poids de l`économie parallèle. Or, d`après ce que l`on dit, 50% du PIB est représenté par cette économie.

Premier ministre : C`est vrai. Mais je crois que c`est important de revenir au problème des syndicats parce qu`ils nous ont critiqués. Aujourd`hui, par exemple, l`une des confédérations a déclaré qu`elle avait rompu l`accord signé avec nous, à cause du fait que nous ne respectons pas les promesses salariales. C`est, évidemment, une pression des syndicats, des travailleurs, mais pour nous c`est important de maintenir à un niveau convenablement bas l`inflation et utiliser l`argent premièrement pour les investissements. C`est une politique que nous avions annoncée, naturellement, pas facile.

Reporter : Le FMI vous a accordé en 1999 un crédit stand-by de 535 millions dollars et actuellement de nouvelles négociations sont en cours, dont l`objet est moins bien connu.

Premier ministre : Les négociations visent notamment la conciliation des divergences. C`est un exercice que nous faisons avec le FMI depuis 30 ans. On connaît donc la structure du Fonds et, évidemment, nous respectons les positions des représentants du Fonds mais, dans le même temps, comme il s`agit de notre pays, nous considérons que, dans certaines situations, nous connaissons mieux notre situation.

Reporter : Est-ce que vous pouvez être plus concret ?

Premier ministre : Le problème essentiel est celui d`expliquer aux gens qui viennent de Washington l`importance de la dimension sociale pour n`importe quel projet économique, la limite supportable socialement dans un pays en transition. Donc pour des experts qui travaillent dans des laboratoires économiques super efficaces, les choses sont très simples, mais nous ne construisons pas une économie dans un pays vierge. On doit trouver des solutions très complexes dans un pays avec beaucoup de frustrations, et surtout, il faut avoir l`appui de la population pour continuer la réforme. Sinon, on peut s`égarer dans cette forêt

Reporter : Est-ce que vous n`êtes pas maintenant d`accord avec les deux principes du FMI qui sont : la diminution régulière de l`inflation et?

Premier ministre : L`inflation est un virus de l`économie et nous essayons, naturellement, de faire baisser l`inflation. Je dois dire que, par contre, nous n`avons pas beaucoup d`opinions différentes de celles du FMI. Pour deux ventes on a eu des négociations conjointement avec le Fonds et, à la fin de ce mois, on aura à Bucarest une nouvelle équipe de négociateurs du Fonds et, à mon avis, avant la fin du mois de juin on aura un nouvel accord. En fait, la lettre d`intention pourrait être adoptée par le Conseil d`Administration au mois d`août. Je suis plutôt optimiste. Si maintenant nous n`avons que de petites divergences, au début elles étaient assez importantes sur certains points.

Reporter : Donc le FMI a accepté, ne serait-ce qu`une partie des objections ?

Premier ministre : Nous aussi avons accepté certains points de vue, donc ce compromis est valable.

Reporter : La seconde condition posée par le FMI c`est le renforcement de la discipline budgétaire. Est-ce que là aussi vous suivez, ça veut dire des désengagements de l`Etat du système industriel, surtout celui énergofague et puis, d`autre part, la réduction énergique du nombre des fonctionnaires, des frais de fonctionnement ?

Premier ministre : On a déjà commencé la réduction de 30% des frais dans l`administration, dans les entreprises, donc on essaie de les rendre plus efficaces dans le fonctionnement, dans la productivité. Du point de vue de la discipline fiscale, on a également pris des mesures assez dures. C`est difficile, mais ça va. On commence à avoir des résultats : par exemple, c`est pour la première fois que les banques commerciales distribuent d`avantage de crédits, les taxes sont mieux perçues, on a réduit par milliers des fonctionnaires de certains ministères, par exemple le Ministère de l`Agriculture, le Ministère des Finances.

Reporter : Est-ce que ça compense ce qu`on vous a reproché au commencement, d`avoir constitué un gouvernement pléthorique, avec plus d`une centaine de secrétaires d`Etat ?

Premier ministre : Ceux qui l`ont affirmé ne savaient pas la structure du gouvernement d`avant. Auparavant il y avait un nombre limité de ministères, et, dans le même temps, il y avait 38 agences gouvernementales indépendantes, mais qui, en fait, avaient été placées directement sous l`autorité du Premier ministre, représentant des secrétariats d`Etat. Donc moi, je me suis demandé si moi, en tant que Premier ministre, je peux gérer en même temps les ministères et les agences gouvernementales. J`ai donc décidé de placer les agences auprès des ministères et avoir une meilleure gestion des ministères.

Reporter : Ce ne fut donc pas par atavisme centralisateur.

Premier ministre : Non, par contre, ce fut une décentralisation, du point de vue du Premier ministre, parce que, auparavant, les 38 agences gouvernementales étaient placées directement sous l`autorité du Premier ministre. Donc je me suis dit qu`il fallait décentraliser qu`il fallait placer les agences sous l`autorité des ministres, des secrétaires d`Etat. Et il y a deux raisons pour le nombre actuel des secrétaires d`Etat : dans presque chaque ministère il y a un secrétaire d`Etat en liaison permanente avec le Parlement. Nous sommes un gouvernement minoritaire, donc nous avons besoin tout le temps de lobbying au Parlement et d`être présent dans tous les débats. Il y a des procédures très rapides maintenant au Parlement, donc il faut y avoir un représentant?

Reporter : Mais pourquoi un secrétaire d`Etat, un porte-parole n`aurait pas suffi ?

Premier ministre : Au Parlement, chaque fois qu`il y avait un directeur, on lui disait qu`il s`en aille, et que vienne le ministre. Un deuxième secrétaire d`Etat au niveau des ministères est chargé de l`intégration européenne, de l`adoption de l`Acquis communautaire. Il y a aussi un Ministère de l`Intégra-tion européenne, coordonnant ce réseau au niveau des ministères. On a donc créé pour la Commission européenne de Bruxelles un partenaire et je crois que c`est important que les ministères suivent l`évolution législative chaque fois qu`il y a un nouveau projet de loi. De cette manière, il peut y avoir quelqu`un qui dise « nous avons dans la banque de données telle information en provenance de l`UE ».

Vous avez dans cet ouvrage les données qui avaient été prises en compte. Vous remarquez la différence entre ces chiffres-là et les chiffres représentant les valeurs réelles pour les années 1999 et 2000. Donc les estimations faites par la Commission européenne reposent sur des chiffres faux. J`ai donné ce texte à M. Verheugen.

Reporter : Où en êtes-vous avec la liquidation des grandes entreprises d`Etat, allez-vous poursuivre ce processus ?

Premier ministre : Je ne dirais pas être le partisan de cette formulation, la liquidation. Par contre la privatisation est très utile, et je donnerais l`exemple de la privatisation de la Banque Agricole, processus finalisé en deux mois. Le Gouvernement a décidé aussi la privatisation du combinat SIDEX et à mon avis sa privatisation sera finalisée avant la fin du mois de juin. C`est la privatisation la plus importante de l`économie roumaine.

On a privatisé aussi, récemment, OLTCHIM, on est maintenant en voie de dérouler trois programmes de privatisation : PSAL 1, PSAL 2, avec la Banque Mondiale, et RICOP, programme de privatisation avec l`Union européenne. Y sont incluses les entreprises d`Etat qui créent des pertes très importantes. SIDEX, par exemple, représente 80% des pertes de l`économie roumaine. C`est très important de privatiser ce combinat.

Reporter : Parmi les conditions posées par l`UE pour l`intégration de la Roumanie était aussi, en 1996, la question des enfants institutionnalisés, Qu`est-ce qu`on a encore entrepris à cet égard ?

Premier ministre : Depuis 1996, on n`a pas réalisé grand chose. Naturellement, la complexité de la question a créé et crée encore des difficultés, auxquelles s`ajoutent aussi le manque de cohérence dans les actions. Dans certaines situations il y a eu également un certain intérêt partisan de quelques ONG intéressées par l`adoption et moins dans la protection des enfants. A mon avis la solution de principe, à ce sujet, serait l`adoption nationale.

Reporter : Les familles d`accueil ?

Premier ministre : Pas seulement : les familles d`accueil sont importantes en attendant que l`on trouve une formule alternative, un foyer. Nous avons des programmes très ambitieux : il y a maintenant presque 200 projets réalisés dans certaines régions avec un appui très important -18 millions d`euros - en provenance de l`UE. L`opération consiste dans le fait que nous trouvons des appartements très bon marché, dans des régions monoindustrielles, où les appartements sont très bon marché, et ensuite, avec l`église, on trouve des assistants sociaux afin de créer des familles d`accueil pour ces enfants. C`est un projet assez important, assez difficile, mais nous avons l`assistance de la Commission européenne.

Hier j`ai eu ici, un entretien très important avec la baronne Emma Nicholson, qui s`occupe, de la part de l`UE, de la Roumanie, notamment de la question des enfants. Nous avons eu un excellent dialogue. On a commencé à résoudre les problèmes existants. Il y a d`ailleurs un consultant de l`UE qui travaille ici avec nous. Je suis donc plutôt optimiste à cet égard.

Reporter : Et les aspects législatifs sont-ils réglés ?

Premier ministre : Tout à fait. Je crois que c`est très important. Surtout qu`à un moment donné nous, la Roumanie, avons été attaqués par certains journaux étrangers d`avoir pratiqué le commerce avec des enfants.

Reporter : Il paraît, quand même, qu`avec un bon bakchich on peut résoudre pas mal de questions en la matière.

Premier ministre : Mais ce n`est pas tout. On dit qu`en Italie, par exemple, on a trouvé des enfants roumains auxquels on a prélevé des organes pour le transplant. Il faut donc établir, conjointement avec l`Union européenne, d`une manière plus stricte, les règles de l`adoption internationale, compte tenu du fait que, malheureusement, il y a des centaines d`organisations non-gouvernementales qui ont recyclé l`argent par ce biais. On dit que 80% de l`argent apporté par le ONG a été repris par ces ONG pour des frais de gestion. C`est pourquoi il faut y introduire des règles très strictes, inspirées d`après la législation internationale. En Espagne, par exemple, pour l`adoption il y a une certaine taxe, tout comme aux Etats-Unis et c`est tout. Il faut absolument éliminer le grand nombre d`intermédiaires qui font fortune par le biais des adoptions.

Reporter : L`économie parallèle représente environ 40% du PNB. Elle constitue une soupape de sécurité sur le plan social, mais, dans le même temps, une image pas très positive pour l`Etat.

Premier ministre : C`est vrai. Mais nous sommes maintenant en train de simplifier les procédures et de baisser les taxes et les impôts sur les profits. On essaie donc de faire sortir en plein jour des affaires qui se font en cachette. J`ai proposé, par exemple, à un moment donné, des taxes forfaitaires pour les petites entreprises pour les inciter à se déclarer, à publier réellement peurs profits. Le problème est que la plupart des entreprises se déclarent en perte pour ne pas payer d`impôts, ni les contributions sociales. Il faut de toute façon s`y pencher davantage. Le 1er mai j`ai lancé un message, demandant à mes collègues et à mes amis de e soutenir dans cette lutte contre le marché noir du travail qui n`assure pas la sécurité des travailleurs ni dans le cas du chômage, ni dans celui des retraites.

Reporter : Depuis 1996 les Gouvernements roumains se sont engagés, les uns après les autres, à lutter contre la corruption ; d`ailleurs, la Commission européenne a mis en garde contre les nombreux cas de corruption en Roumanie. Qu`est-ce que vous pensez pouvoir faire à cet égard ?

Premier ministre : Le problème de la corruption est assez compliqué parce qu`il est dû autant à certains éléments subjectifs, qu`à certains éléments liés au processus de transition. C`est une période de changements de propriété, de privatisations. Il y a un véritable changement, pas de générations, mais de classe. C`est un peu comme aux Etats-Unis au XIXème siècle, lors de la création des premiers grands capitaux.

Reporter : A condition qu`il y ait des investissements, qu`il n`ait pas de fuite de capitaux à l`étranger.

Premier ministre : Au début il y a eu des investissements dans la construction des maisons personnelles, des villas, dans l`achat de voitures. Maintenant l`argent est investi de plus en plus dans des affaires en activité. A mon avis, la privatisation est une bonne solution, donc le changement de propriété, car le propriétaire privé est plus attentif. On a résolu la question de la restitution des biens immobiliers, on est en train maintenant de trouver les solutions pour le deuxième volet de la restitution, à savoir les terrains agricoles et les forêts : on a adopté hier une loi portant la gestion des forêts, conformément à laquelle c`est soit la régie ROMSILVA, soit une organisation privée qui pourrait s`en occuper. C`est par des instruments politiques, par les actions concrètes du Ministère de l`Intérieur, du Ministère de la Justice que l`on trouve des solutions et non pas par des campagnes très ambitieuses et extravagantes.

Reporter : On vous a reproché récemment de vous ingérer dans le déroulement de la justice, de ne pas respecter son indépendance, en augmentant les pouvoirs du procureur général de Roumanie auprès de la Cour Suprême de Justice. Récemment, également, le secrétaire général du Gouvernement, qui est un de vos proches a demandé au Tribunal de Cluj de suspendre la mise en faillite de la banque Dacia Felix.

Premier ministre : En ce qui concerne la justice, et l`on a discuté aussi avec M. Verheugen, M. le ministre Stoica a remplacé au moins 80 présidents des tribunaux et procureurs généraux après les élections de 1996. De plus, par la modification de la loi du système judiciaire, il a placé le procureur général sous son autorité, lui accordant aussi la possibilité de demander le recours en annulation. Or, on n`avait pas changé les lois et le procureur général ne peut pas changer les décisions de la Cour Suprême de Justice. Il y a certaines situations de demander le recours en annulation, comme dans tous les pays, mais ce n`est que la justice, elle-même qui peut le faire. L`actuelle ministre de la Justice a remplacé huit personnes seulement, mais pas toute seule, uniquement avec l`avis du Conseil Général de la Magistrature.

Reporter : Le problème c`est que parmi les procureurs remplacés il y a surtout les procureurs qui se sont attaqués aux affaires qui concernent les gens qui sont maintenant au pouvoir, par exemple, Budusan, ce qui ressemblerait à un règlement de compte.

Premier ministre : Non ce ne fut nullement le cas. Il faut respecter une hiérarchie sans quoi on ne peut pas imposer la discipline nécessaire.

Vous avez cité aussi la Banque Dacia Felix. Le secrétaire général du Gouvernement a informé les juges que le Gouvernement est en train d`analyser de donner une ordonnance d`urgence concernant cette affaire.

Reporter : Pour la sauver ?

Premier ministre : Oui.

Reporter : Et pourquoi précisément cette banque, liée à la Securitate, au scandale Caritas, à la Banca Romanească?

Premier ministre : Il y a ici certains intérêts qui sont en divergence. Il y a, bien sûr, ceux qui attendent la liquidation de cette banque, parmi lesquels il y a une grande compagnie internationale qui y est très intéressée, ce qui est compréhensible. Dans cette situation la Banque Internationale, qui est le créditeur, pourrait obtenir 9 millions de dollars. Mais, il y a aussi quelqu`un qui veut l`acheter.

Donc il y a deux options pour le Gouvernement : soit d`accepter la liquidation et obtenir 9 millions de dollars, soit d`accepter l`achat de cette banque, conformément à des règles internationales, pour une somme de 25 mille dollars. De mon point de vue, 25 millions dollars c`est mieux que 9 millions dollars.

Reporter : La Roumanie est le dernier pays ex-communiste à avoir adopté une loi, qui est d`ailleurs incomplète, d`après l`avis des experts, sur l`ouverture des archives de la Securitate. Vous-même vous avez affirmé que cette opération n`était pas utile.

Premier ministre : J`ai tout simplement voulu dire qu`il faut mettre fin à la lutte contre le passé, qu`il faut se concentrer sur l`avenir. Il y a déjà dix ans de déchirures, de barricades, de luttes concernant des événements du passé. La restitution des propriétés des communistes, la restitution des propriétés des capitalistes, les problèmes de la Securitate, les problèmes de la Révolution? Moi, j`ai dit, « bon, regardez, nous, on est en train de nous bagarrer sur des aspects liés au passé et pendant ce temps les autres pays se développent rapidement? »

Reporter : Mais regardez la Pologne, on y souligne l`importance de la transparence sur le passé, ou la République Tchèque, qui a commencé tout de suite.

Premier ministre : A mon avis, si cela avait été fait immédiatement après la Révolution, oui, mais le faire après dix ans, on ne sait plus si ce sont les dossiers faits par les communistes par la Securitate, par le Service Roumain de Renseignements?Et on l`a vu d`ailleurs ces derniers temps, comme il est relatif de se référer aux événements du passé. On oriente l`énergie du pays sur des sujets qui divise surtout les gens, au lieu de dire « Oh, il y a dix ans de la Révolution, c`est déjà du passé ?»

Reporter : Et vous pensez réellement qu`on peut bâtir la démocratie et un avenir meilleur si l`on n`a pas suffisamment de données sur le passé ?

Premier ministre : Je ne sais pas exactement comment la France a fait quant à la collaboration?

Reporter : Ca ressort, même 40 après, ça ressort.

Premier ministre : D`accord, je le sais, mais il n`y a pas de système permanent qui fonctionne en tant que tribunal du peuple. A mon avis, si jamais il avait eu des informations sur des cas très précis, on aurait pu, ces quatre dernières années, obtenir des informations des archives des services secrets, par le pouvoir qui appartenait au gouvernement de droite. Donc, ils auraient pu dévoiler la vérité. Dans des cas, comme la France, maintenant, il est utile de voir ce qui s`est passé. Mais maintenir, après dix ans, la question des dossiers pour des millions de gens, parmi lesquels des prêtres, des journalistes, et ne plus savoir qui fut quoi, à mon avis c`est de la folie. Donc, au lieu de nous concentrer sur les problèmes de l`Union européenne, nous sommes préoccupés par les problèmes du stalinisme en Roumanie. C`est exagéré.

Je sais que vous avez encore des questions, mais si vous le voulez bien, comme maintenant je suis très pressé, on pourrait continuer ce soir, au dîner? Très bien, à ce soir donc !

 

Le Cabinet du Premier Ministre, DAIS
04 mai 2001